• Une Europe en ruines, de l'Atlantique à l'Oural.
    Des morts par millions1, militaires et civils, de Caen à la Sibérie. 
    Il y a 78 ans le continent européen exhibait ses plaies béantes sous un ciel printanier enfin porteur de paix.

    Aujourd'hui, on commémore le 8 mai 1945, non sans arrière-pensée.
    Retour sur un évènement historique dont la France faillit être exclue.


    Le Generaloberst Jodl à Reims le 7 mai 1945

    Reddition sans conditions en deux temps

    Si la date officielle des commémorations est fixée au 8 mai dans les pays alliés, la vérité historique mérite un petit devoir de mémoire

    7 mai : reddition et fin des combats sur le sol européen

    Archives de Fontenay sous BoisAvant même le suicide d'Adolf Hitler le 30 avril, le sommet de l'état nazi est devenu un marigot dans lequel magouillent les dauphins pressentis, Göring et Himmler.
    Hitler ne leur pardonne pas leur trahison et rédige son ultime testament par lequel il désigne officiellement le grand amiral Karl Dönitz comme son successeur. 
    Devenu Président du Reich dès l'annonce du suicide du Führer, Dönitz, tout en conservant tous les rouages du nazisme, œuvre pour une paix séparée avec les Occidentaux. Il espère ainsi que l'armée allemande garde ce qu'il reste de sa puissance pour rester le fer de lance dans l'affrontement entre l'Occident et l'URSS. Jusqu'au 7 mai, il mettra tout en œuvre pour faire passer les troupes allemandes derrière les lignes américaines afin de les soustraire à la fureur des soviétiques, ce qui ne l'empêchera pas de faire pendre les déserteurs. 
    Mais ses espoirs de paix séparée mourront le 7 mai 1945.

     Une reddition sans condition

    Pour Dönitz comme pour tous les dignitaires allemands ce sera la douche froide, voire glacée, car si à leurs yeux il restait un espoir d'accord avec les Américains et les Anglais, pour ceux-ci et leurs alliés c'est un "non" à tout ce que proposera l'Allemagne.
    Un armistice est hors de question après les suites de l'armistice du 11 novembre 1918 et les conséquences du traité de Versailles. 
    Un armistice est d'autant plus inacceptable qu'au fil de leur avance les Alliés ont découvert l'horreur absolue des exactions allemandes : camps de concentration, d'extermination massive, massacre des populations slaves, Lebensborn ("fermes" de reproduction SS), etc.

    Aussi, quand le 7 mais 1945 les belligérants se retrouvent autour de la table des "négociations" au Collège Moderne et Technique de Reims, QG d'Eisenhower, Commandant Suprême des Forces Expéditionnaires Alliés en Europe, les dés sont jetés : il n'y a rien à négocier.
    Que pourrait négocier Alfred Jodl, qui bien qu'appartenant à la Wehrmacht, a ordonné lui-même le massacre des commissaires politiques et des chefs bolcheviks et qui a orchestré la déportation des Juifs d'Europe, qu'il considérait comme une "nécessité d'État" ? Rien.

    Entouré de Eisenhower et Walter Bedell-Smith pour les USA, de Ivan Sousloparov pour l'URSS et de François Sevez pour la France, Jodl signera toutes les conditions alliées qui placent l'Allemagne sous le contrôle des forces alliées le 7 mai 1945 à 02:45 am.
    Les combats devront cesser à 11:00 pm, 01:00 le 8 mai heure de Londres.

    Pourquoi retenir la date du 8 mai ?

    Bien qu'Ivan Sousloparov fut présent à Reims pour représenter l'Union Soviétique, Staline est furieux. Pourquoi ?

    L'ego du "petit père des peuples" est à la dimension de la taille de son pays, immense. 
    Mais il serait réducteur et inexact de voir là la seule explication à la colère de Staline. En effet, pour Staline, c'est le peuple soviétique qui a payé le plus lourd tribu tant au niveau militaire qu'en morts civiles et les chiffres le confirment. C'est aussi sur le sol soviétique que la guerre a connu son tournant avec la grande défaite de Stalingrad et la demie victoire de la bataille de Koursk qui a permis la destruction de la puissance blindée allemande, qui lui fera tant défaut après le débarquement.

    Staline exige une deuxième cérémonie, sur "ses" terres, dans Berlin occupée par les troupes soviétiques tandis que le drapeau rouge à faucille et marteau flotte sur le Reichtag. 
    Pour honorer les troupes orientales, la deuxième reddition sera signée à Berlin dans le quartier de Karlshorst.
    Si dans la nuit du 8 au 9 mai les participants sont différents, les termes de la capitulation restent presque les mêmes : c'est une capitulation sans condition pour l'Allemagne.

    Cette fois, c'est le prestigieux maréchal Joukov qui signe au nom de son pays.
    Le commandant en chef de la R.A.F Arthur Tedder représente le Royaume Uni et le général de l'US Air Force Carl A. Spaatz, déjà présent à Reims, représente les États Unis.
    Dönitz a quant à lui envoyé le maréchal Wilhelm Keitel dont l'histoire retiendra les clichés pleins de morgue.

    A sa grande surprise, la France est présente en les personnes du maréchal Delattre de Tassigny accompagné de son chef de cabinet le lieutenant de réserve René Boudoux2 , ainsi que du colonnel André Demetz, présence d'autant plus inattendue que Joukov (et probablement Staline pour qui la France existait à peine) avait refusé que les Français fussent présents. Une fois de plus, c'est la ténacité du général de Gaulle qui a permis cette victoire diplomatique.
    La présence française était si peu souhaitée et attendue que Delattre de Tassigny découvre l'absence du drapeau français : un drapeau tricolore sera confectionné en hâte avant la cérémonie. Et pour cause !
    Quand la délégation française débarque à Berlin, si de Gaulle a obtenu que celle-ci soit présente, il n'est pas prévu qu'elle soit associée à la signature de la capitulation. Un officier britannique ira jusqu'à murmuré "Et pourquoi pas la Chine ?!".
    Pour Delattre de Tassigny, c'est inacceptable.
    Il mettra tout son poids, son sens de la diplomatie auprès de ses autres partenaires pour que la France signe à égalité avec les autres nations.

    Pour Keitel (que même Hitler considérait comme un "âne"), il est difficile de comprendre la situation. Fier et arrogant, il claque des talons, salue de son bâton de maréchal, attendant que les autres membres lui rendent son salut. En vain.
    Ultime humiliation pour lui, il doit s'assoir à côté de Delattre de Tassigny, "A côté d'un Français, c'est un comble !".
    Il comprend qu'il est vaincu et, plein de rage, c'est en vaincu qu'il signe tous les points de la capitulation.

    C'est cette date que la postérité retiendra pour les commémorations de cette paix retrouvée, de laquelle la France a failli n'être qu'un spectateur.
    Le décalage horaire fera que ce sera le 9 mai que l'URSS, puis la Fédération de Russie, fêteront la "Grande Guerre Patriotique".

    Quelques images et commentaires (¿) d'époque, cliquer pour voir en plein écran.

     

     Un 8 mai férié... ou pas

    Depuis la fin de la guerre, la France a eu bien du mal à gérer cette date !
    On commémore ou pas ? Férié ou pas ?

    Après guerre, on commémore cette date mais le dimanche. Ainsi en 1946 le 8 mai tombant un mercredi, on commémore la capitulation le dimanche 12. Avec cette règle du dimanche, la question du jour férié ne se pose pas.
    En 1953 la règle du dimanche est abrogée et le 8 mai est férié. Mais en 1959, fini le jour férié puisque le 8 mai sera commémoré le... deuxième dimanche du mois.
    Pour changer à nouveau en 1968 où on commémore à nouveau le 8 mai... le 8 mai qui redevient férié.

    Plus pro européen que Valéry Giscard d'Estaing, élu en 1974, y a pas. Pour ce jeune président, exit le 8 mai, qu'il remplace par la Journée de l'Europe le 9 mai et qui n'est pas férié. Les Allemands sont ravis, mais les Français, pour qui cette date est symbolique, ont du mal à avaler la pilule.
    Un septennat plus tard, en 1981, François Mitterrand rétablit les commémorations du 8 mai 1945, à la satisfaction des anciens combattants encore nombreux, et des Français qui connurent cette période. Il rétablit également le caractère férié de cette journée. Sans que les Allemands, par la voix du chancelier Helmut Kohl ne nous en veuillent ¿


    1 : ce conflit fut le plus meurtrier de l'histoire humaine. On estime qu'il a fait de 60 à 70 millions de morts (env. 2,5 % de la population mondiale) entre 1937 et septembre 1945, dont 40 à 50 millions de civils. Ces chiffres, déjà terribles, ne tiennent pas compte des victimes des suites et conséquences de la guerre après septembre 1945. En savoir plus

     2 : René Boudoux relate cette journée particulière au Figaro en 1975


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