• Afghanistan un fiasco international - 1

    Le retour des mollahs 

    L'Histoire bégaie avec cruauté.
    A moins qu'elle n'ait jamais cessé de murmurer sans qu'on l'écoute.

    La reddition sans gloire du gouvernement afghan devant l'avancée inexorable des Talibans et la chute de Kaboul sont la couronne d'épines qui ceint le front dégarni d'une diplomatie internationale imprévoyante et incapable.

    Tandis que l'aéroport de Kaboul est envahi par une foule qui souhaite fuir (on les comprend !) le retour d'un fondamentalisme déjà subi il y a plus de 20 ans, les politiques et les media internationaux font chorus pour souligner l'échec des USA et de Joe Bidden.

    Talibans dans la palais présidentiel-Kaboul 16/8/21 Photo Zabi Karimi

    En essayant d'oublier que la responsabilité est collective.
    Et que depuis l'émergence du mouvement taliban en 1994 la communauté internationale, USA en tête, s'est enferrée dans le guêpier afghan.

    Retour en arrière sur la chronique d'un échec annoncé.

    Afghanistan : le bal des tartuffes 

    J'écris plus haut que l'Histoire a tendance à bégayer mais qu'on ne l'écoute pas. 
    Depuis ce matin dans les media mainstream revient le leitmotiv d'un conflit qui dure depuis 20 ans. Vraiment ?

    Aurions-nous oublié ce chef-d'œuvre cinématographique qu'est Rambo 3 ? Mais si ! Souvenez-vous !
    Rambo trucidant du spetsnaz1 à tours de bras musculeux, tel une bombe de Beygon™ les mouches, aidé par quelques pachtounes déjà un peu "entalibanés", Rambo courant tête baissée à l'assaut d'un terrifiant MI 242 soviétique et, symbole de la toute puissante Amérique contre les méchants commies3, terrassant la Bête soviétique. 
    C'était rigolo à force de caricature primaire mais aujourd'hui ça nous ramène aux sources de la débâcle idéologique et tactique d'un monde occidental qui déguise ses appétits politico-économiques sous un messianisme démocratique illusoire tout en alimentant le chaos.

    Un guêpier international et idéologique

    Vu des nos fenestrons l'Afghanistan est un autre  monde, un monde qui se joue de nos visions "civilisées" et démocratiques et qui, hors des grandes villes, est resté figé dans une tradition de luttes de clans et de religions.
    Mais quand il s'agit de défendre le pays, le peuple afghan sait se mettre d'accord pour bouter les envahisseurs de leur sol.
    En 1841 l'empire britannique y subit la pire humiliation de son histoire coloniale et si en 1879 les Britanniques prirent leur revanche, les Afghans reprirent leur souveraineté nationale en chassant les Britanniques lors de la troisième guerre anglo-afghane.

    Jeux de dupes sur fond de guerre froide

    Dans les années 70 l'Afghanistan est tiraillé entre deux visions politiques : celle traditionnaliste et religieuse (les talibans n'existent pas encore) qui mènera au coup d'état de 1973 et celle plus moderne et démocratique qui mènera à un nouveau coup d'état en 1978 qui verra l'arrivée au pouvoir du Parti démocratique populaire d'Afghanistan, d'obédience marxiste et soutenu par l'URSS.
    Nour Mohammad Taraki (président du Conseil Révolutionnaire) lance un train de réformes qui ont pour but de moderniser le pays (athéisme d'état, alphabétisation, égalité des femmes...). Cette politique rencontre l'hostilité des chefs islamiques.
    Dans le même temps les visées territoriales afghanes qui souhaitent rattacher les pachtounes du Pakistan au gouvernement de Kaboul d'une part et ouvrir un accès à la mer d'Arabie d'autre part inquiètent à la fois les Américains, les Britanniques et les Pakistanais (qui viennent de basculer sous un régime militaro-islamique). Tout ce petit monde va lancer une politique de déstabilisation depuis le Pakistan.
    Au sein même du gouvernement afghan des divisions naissent au sein de la coalition entre ceux pro-soviétiques et ceux qui supportent de moins en moins la tutelle de Moscou.

    Les USA allument la mèche...

    Dans ce panier de crabes se disputant influence, territoires et accessoirement un gazoduc international, un acteur majeur va prendre une décision, curieusement passée sous silence dans nos JT du 16, qui aboutira au chaos que nous connaissons aujourd'hui
    C'est la première d'une série de décisions à venir qui vont créer et alimenter durablement le guêpier afghan, décisions dont se rendront complices les puissances alignées dont la France, tous gouvernements confondus.

    Jimmy Carter portrait officielAu nom de la lutte contre le communisme, le 3 juillet 1979 le président américain Jimmy Carter signe la première directive visant à aider les islamistes opposés au régime de Kaboul.
    Au mois de septembre le président Nour Mohammad Taraki est assassiné par son premier ministre, communiste mais opposé à l'influence soviétique. Certains y verront le bras de la CIA mais aujourd'hui encore rien ne le prouve.

    Toujours est-il que cette décision va peser lourd sur l'avenir de la nation afghane : les troupes soviétiques entrent en Afghanistan fin décembre 1979.

    ---et mettent le feu au monde

    Pendant les six années que durera l'invasion soviétique vont se mettre en place les stratégies qui conduiront aux changements politiques du monde post 11 septembre 2001.

    La présence des soviétiques sur leur territoire est insupportable pour les Afghans qui vont commencer à organiser la résistance au nord du Pakistan. Un homme va réussir à rallier les chefs de guerre, le commandant Massoud. Chef de guerre charismatique, il mènera une guérilla sans merci contre les troupes de soviétiques dans le nord du pays.
    Pour le commandant Massoud les problèmes afghans ne peuvent être réglés que par les Afghans et certains lui reprocheront de ne pas aller au devant de la communauté internationale. Ce musulman progressiste qui défend les droits des femmes et l'égalité de l'éducation viendra en avril 2001, devant la Cour européenne, alerter l'occident du danger que représentent deux mouvances de l'islam radical : les Talibans et Al Quaïda.

    Commandant Massoud et ses moudjahidines

    Tandis que les chefs afghans tiennent tête aux soldats soviétiques qui se sont adaptés à la tactique de guérilla (ils seront conseillés par d'anciens combattants vietnamiens), les Américains prennent deux décisions stratégiques qui aujourd'hui pèsent lourd sur la politique actuelle, avec l'appui de leur allié (peu fiable) pakistanais.
    Leur postulat est simple, voire simpliste : seuls les fondamentalistes peuvent venir à bout de l'invasion soviétique. Ils vont armer un fusil à deux détentes :

    Première détente : ils arrosent de dollars des chefs de guerre, islamistes radicaux, et leur apportent également une aide logistique. Les US injecteront environ 3 milliards de dollars, l'Arabie Saoudite également. Le gouvernement américain et la CIA viennent de donner naissance aux Talibans. Pendant la période de gouvernance talibane, en 2000/2001, les USA les financeront à hauteur de 245 millions de dollars.
    Deuxième détente : soucieux d'asseoir leur influence sur la région, les  États Unis, apparemment peu confiants sur les chances de succès de leurs nouveaux alliés talibans, vont renforcer la présence des fondamentalistes sur le sol afghan.

    Oussama ben Laden - Afghanistan 1989

    Via les services secrets saoudiens, ils vont enrôler un jeune saoudien, issu d'une riche famille locale, un certain Oussama ben Laden. Envoyé au nord du Pakistan, à charge pour le jeune homme de créer une milice de soldats à l'islam radical, les moudjahidines. On évoque un financement de 300 M de dollars qui serviront au jeune Oussama à faire d'une troupe hétéroclite et indisciplinée une armée organisée qui s'illustrera contre les soviétiques3.

    Pour le commandant Massoud les choses sont claires : il n'est pas question de la moindre alliance avec les Talibans ni avec les moudjahidines d'Oussama ben Laden qu'il juge trop radicaux.

    USA : de l'aveuglement à l'humiliation

    Retrait des troupes soviétiques

    En 1986 Mikhael Gorbatchev suspend les opérations de grandes envergures et amorce le retrait progressif des soldats de l'Armée Rouge. Une ultime grande opération sera lancée contre les troupes de Massoud pour stopper sa marche vers Kaboul.
    Sous la pression des Russes qui supportent de moins en moins le retour des cercueils des soldats, mais aussi par réalisme politico-stratégique, le 15 mai 1988 le gouvernement soviétique retire ses troupes progressivement et en bon ordre suite à la trêve signée en février 1988 avec le commandant Massoud.
    Un an après la signature de la trêve, le 15 février 1989 sur le pont de l'Amitié, le dernier soldat de l'Armée Rouge quitte le sol afghan.

    Pont de l'Amitié 15 fév.1989

    L'armée gouvernementale tient bon

    La lutte pour Kaboul et le pouvoir est désormais ouverte et les candidats, avançant en ordre dispersé mais déterminés, sont nombreux : les moudjahidines de Massoud, ceux d'Oussama ben Laden, les talibans, les milices des cheds de guerre des différentes ethnies... Allah reconnaîtra les siens !¿! 

    La différence fondamentale avec ce qui s'est passé depuis mai 2021 est la résistance déterminée de l'armée régulière.
    Bien que conscients du manque de fiabilité des soldats gouvernementaux, les soviétiques vint former 320 000 combattants non seulement du point de vue militaire mais aussi idéologiquement. Si l'investissement financier est considérable, cet aspect idéologique sera efficace puisque "seulement" 10 % par an de soldats désertent.
    Pendant trois ans l'armée afghane réussit à repousser les attaques contre Kaboul jusqu'à la victoire du commandant Massoud qui entre dans Kaboul le 29 avril 1992.

    2ème guerre d'Afghanistan : la victoire des talibans

    Le gouvernement communiste est renversé, les soldats de l'armée régulière sont considérés comme prisonniers de guerre puis libérés. 
    Un gouvernement provisoire de coalition entre différents chefs de différentes ethnies est formé le 28 juin dont le commandant Massoud sera ministre de la Défense.

    Double jeu américain - Massoud isolé

    Toute la complexité, ethnique et religieuse, va peser sur le gouvernement mis en place par Massoud et ses remuants alliés. 
    Partisan d'une gouvernance démocratique et d'un islam modéré et même progressif à l'égard des femmes4, le commandant Massoud doit pourtant composer avec les alliés pachtounes (ethnie dominante) fondamentalistes. Si la présidence est assurée par le modéré Burhanuddin Rabbani, élu en décembre 1992, les dissidences au sein de la coalition qui avait permis la victoire sur les troupes de l'ancien gouvernement vont pousser Massoud  à démissionner de son poste de ministre. 
    Burhanuddin Rabbani, chef pachtoune et fondamentaliste, devient premier ministre. En juillet la charia est mise en place (port du hijab obligatoire, interdiction de diffuser de la musique à la radio, prière obligatoire pour les fonctionnaires) mais cela ne suffit pas à pacifier le pays.
    Les talibans qui poursuivent leur but de créer l'Émirat islamique d'Afghanistan conquièrent à partir de 1994 certaines provinces, sauf dans le nord-est où le commandant Massoud est s'est réfugié pour reprendre le combat. Malgré l'estime internationale dont il jouit, les puissances internationales ne le soutiennent ni militairement ni financièrement alors que les talibans bénéficient du soutien du gouvernement pakistanais qui leur distribue les dollars de leurs alliés américains.

    "Bénédiction" américaine et retour de ben Laden

    En 1996 la victoire des talibans ne fait plus de doute et le 27 septembre 1996 Kaboul tombe entre leurs mains.
    Le 28 octobre 1997 l'Afghanistan devient officiellement l'Émirat islamique d'Afghanistan et le mollah Omar s'autoproclame Chef des Croyants.

    Clinton et M. AlbrightLa Secrétaire d'état de Bill Clinton, Madeleine Albright n'hésite pas à déclarer que "c'est un pas positif". Tant de clairvoyance laisse pantois ¿

    L'administration Clinton, bien que peu emballée par l'ultra fondamentalisme taliban, soutiendra le nouveau régime plus ou moins directement via l'allié pakistanais, sans reconnaître officiellement l'état taliban que seuls trois pays, alliés des américains reconnaîtront, à savoir le Pakistan, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. 
    Une paix relative règne en Afghanistan, même si les troupes de Massoud, l'Alliance du Nord, résistent encore au nord-est du pays.

    A noter qu'en 1998, après la prise de la ville de Mazar-e-Charif, que le massacre de 4 à 6 000 Hazaras, tribu dont les origines sont méconnues, fera à peine froncer les sourcils de Clinton et de la communauté internationale qui sera bien plus émue par la destruction des statues de Bouddha préislamiques de Bâmiyân qui elles, contrairement aux Hazaras, étaient inscrites au patrimoine mondial de l'humanité...

    La relative bienveillance américaine n'est pas vraiment dictée par un altruisme échevelé mais, encore une fois, par des visées économiques sur les réserves de gaz et de pétrole qui dorment sous le sol afghan, ce qu'exprimera sans fausse pudeur l'ambassadeur américain à l'ONU, Bill Richardson, à la tribune de l'ONU en avril 1998: "Après une absence de neuf ans, les Etats-Unis sont revenus dans le jeu afghan. Cette fois, il ne s'agit pas de stopper le communisme, mais d'assurer la sécurité de cette région pour les pipelines de pétrole et de gaz qui pourraient désenclaver les richesse d'Asie centrale."

    Que devient Oussama ben Laden ?
    Depuis les années 90 les relations de ben Laden avec son pays, l'Arabie Saoudite, se sont considérablement détériorées. Réfugié au Soudan où il a organisé une série d'attentat, il sera contraint de quitter le pays par le régime de Khartoum.
    Les alliés d'hier l'accueillent en Afghanistan lors de l'été 1996 où il établit sa base, sans compter une base arrière au Pakistan, à la frontière afghane. Le mollah Omar soutient ben Laden tandis que celui-ci lance une campagne d'attentats contre les intérêts US.

    Madeleine Albright fait un "pas en arrière" en déclarant martialement : "Si les talibans souhaitent être reconnus, ils ne devraient pas héberger ceux qui sont considérés comme des terroristes [...] Les activités de Oussama ben Laden sont hostiles aux gens civilisés dans le monde et aux Etats-Unis."
    Mais, malgré quelques raids aériens, le gouvernement américain ne remet pas en cause sa position vis-à-vis du pouvoir taliban, bien que celui-ci refuse de lui livrer ben Laden.

    Vers un XXIème siècle incertain

    Alors que l'occident s'apprête à entrer dans le XXIème siècle, les talibans instaurent un régime qui fait faire un grand bon en arrière au pays.
    Dans les régions sous leur contrôle c'est le règne de la terreur : exécutions sommaires, pendaisons, lapidations de femmes. Celles-ci sont désormais privées d'instruction, contraintes de porter la terrible burqa5 tandis que les jeunes garçons, eux, font leur éducation dans les écoles coraniques. Ils sont l'armature de ceux qui sont entrés dans Kaboul il y a huit jours.

    Sur fond d'instabilité chronique, la parole de la communauté internationale reste quasi inaudible pour ce régime drapé dans la certitude des fanatiques. Il n'est pas impossible non plus qu'il fasse le pari sur le compréhensible manque de motivation des Américains et de leurs alliés de venir s'embourber comme les soviétiques dans un pays que la géographie naturelle transforme en forteresse.

    Les deux Tours qui vont changer l'échiquier politique

    Farouchement hostile tant aux talibans qu'aux moudjahidines d'Al Quaïda, le commandant Massoud n'a jamais cessé de mettre l'Occident en garde contre Oussama ben Laden.
    Le 9 septembre 2001 le commandant Massoud est assassiné dans un attentat suicide perpétré par de faux journalistes, deux Tunisiens membres d'Al Quaïda portant des lettres de recommandation du Centre d'observation islamique (basé à Londres).

    9 11 WTC

    Deux jours plus tard, les États Unis vivent la journée la plus traumatisante de leur histoire après Pearl Harbour.
    Le 11 septembre 2001 le monde assiste en direct à l'attentat le plus meurtrier de l'histoire. Deux Boeings s'écrasent dans les Twin Towers du World Trade Center, un autre sur le Pentagone.

    Tandis que s'effondreront les deux tours, symboles de la toute-puissance financière de l'Amérique, s'effondreront en même temps une certaine conception du monde que Georges W. Bush résumera entre "Forces du Bien" vs "Forces du Mal", quitte à utiliser le mensonge d'état pour finir de déstabiliser ce qui tenait encore lieu de rempart contre la nébuleuse terroriste internationale. 


    (1) Corps d'élite soviétique puis russe, créé au début de la guerre froide. Le terme spetsnaz désigne également les soldats de ces bataillons. Ces troupes d'élite sont réputées pour leur efficacité sans état d'âme.

    (2) MI 24 : hélicoptère de combat lourd équipé de mitrailleuses lourdes et surtout de missiles, fabriqués en série à partir de 1972 par la société Mil (Rostov).

     (3) Il y a une certaine ironie à souligner que dans les années 90 Oussama ben Laden était considéré par la presse pro OTAN comme un héros de la lutte anti soviétique. Certains retours en arrière sont cruels.

    (4) Le 2 juillet il reçoit une délégation de femmes dissidentes dans sa région du Pandjchir et il signe la "Charte des droits fondamentaux de la femme afghane" promulguée quelques jours plus tôt par des femmes exilées.

    (5) La burqa est le vêtement qui sera imposé par les talibans et qui n'est quasiment utilisé qu'en Afghanistan. Alors que le niqab imposé par les salafistes (noir en général) qui montre les yeux, la burqa (bleue le plus souvent) comporte une grille ou un voile supplémentaire qui masque les yeux. Si dans les autres courants islamistes ces tenues ont pour but de protéger les femmes de la concupiscence masculine, la burqa, à l'inverse est faite pour protéger les hommes de la tentation ¿

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