Il n'y a pas qu'en France que les faits divers servent parfois de cache-sexe à la mise en place de lois en cascade qui grignotent les libertés individuelles au nom de la "sécurité globale".

Il y a un peu plus de deux ans un ressortissant hongkongais assassinait une femme à Taïpei (Taïwan). Le statut particulier de Hong-Kong prévoyait initialement un jugement sur ce territoire mais Carrie Lam, cheffe de l'exécutif de la Région administrative spéciale de Hong Kong, dépose un projet de loi permettant l'extradition des ressortissants hongkongais vers la Chine Populaire.

De la contestation...

Dans un climat social déjà tendu dans une région où au moins 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et où le blanchiment d'argent des oligarques chinois dans l'immobilier aggrave la paupérisation des classes moyennes, ce projet de loi passe mal auprès de la population hongkongaise qui y voit une attaque sans précédent contre la liberté dont jouit encore Hong Kong depuis sa rétrocession en 1997.

Le 15 mars 2019 marque le premier mouvement de contestation, un sit-in à l'issue duquel neuf personnes seront arrêtées.
L'étude détaillée du texte par le FCDH révèle qu'outre la lutte contre le "terrorisme" et le "séparatisme", le pouvoir chinois poursuit un autre dessein, celui de transformer Hong Kong en une prison noire.
A partir du 31 mars 2019 au mois d'août 2020 les manifestations se multiplient dans un climat de violence croissante (la police ira jusqu'à tirer à balles réelles contre les manifestants) et de répression féroce. Jusqu'à 2 millions de manifestants clameront leur opposition à cette loi.
Les images de ces manifestations feront le tour du monde, tandis que les démocraties fronceront les sourcils. Pas plus.

... à la répression

En septembre 2020 on estime à plus de 10 000 les arrestations et 2 200 procès. Les nombre de blessés est estimé à plus de 2 600.
Les images de la violence policière émouvront les démocraties qui savent que le sort d'Hong Kong est d'ores et déjà scellé.

Aux questions sur le devenir politique de Hong Kong succèdent rapidement les questions économiques et les media occidentaux oublient le sort des "émeutiers" en s'inquiétant surtout de l'impact financier sur les groupes étrangers implantés sur place ou qui y ont des avoirs. 

Le 30 juin 2020 le parlement chinois adopte officiellement la loi sur la sécurité nationale dont le contenu détaillé, comme souvent en Chine, est entouré de secret. 
Les peines à l'encontre des "émeutiers", des "terroristes" et autres "séparatistes" peuvent aller jusqu'à la prison à la perpétuité.

Cette loi signe la fin de l'autonomie dont bénéficiait la région de Hong Kong et, surtout, la fin d'une démocratie qui était une épine dans le pied du gouvernement chinois.
Le parti démocratique Demosisto s'auto-dissout, conscient du changement qu'elle implique, tandis que Joshua Wong, un des leaders pro-démocratiques hongkongais twitte "Cela marque la fin de Hong Kong tel que le monde la connaissait. Avec des pouvoirs étendus et une loi mal définie, la ville se transformera en un #étatdepolicesecrète".
Les démocraties occidentales se disent "préoccupées" tandis que Londres et Washington prennent des mesures économiques.

Mort d'une démocratie

Le 30 juillet dernier la première condamnation officielle a été prononcée à l'issue du premier procès à Hong Kong où comparaissait Tong Ying-kit, jeune serveur de 24 ans arrêté le 1er juillet 2020.

Mr Tong est accusé de blessures sur des policiers, après avoir foncé sur eux en moto et d'utilisation de slogan "Libérez Hong Kong, la révolution de notre temps".
Passible de 14 ans de prison pour les deux faits, il a finalement été condamné à neuf ans de détention.

Ce procès marque une première dans la mesure où, pour la première fois sur le territoire de Hong Kong, Tong Ying-kit a comparu devant trois juges désignés par les autorités de Hong Kong totalement acquises au gouvernement central de Pékin, en l'absence d'un jury populaire comme c'était le cas avant la loi sur la sécurité nationale.
Actuellement 60 personnes sont inculpées et en attente de procès qui se tiendront dans les mêmes conditions.

Cela marque l'emprise des autorités chinoises sur la région administrative de Hong Kong, qui marque la fin du régime particulier dont elle jouissait. Cette emprise est en passe de devenir totale avec la création d'un "organe de sécurité nationale", service de renseignement chargé de collecter des informations sur les citoyens soupçonnés d'activisme séparatiste, subversives et terroristes ainsi que de "collusion avec des puissances étrangères". 

... dans l'indifférence quasi générale

L'information a laissé nos media audio visuels parfaitement indifférents, pour cause de covid certes mais peut-être aussi parce que l'attitude du gouvernement français vis-à-vis de la Chine est des plus timorée, y compris pendant l'actuelle enquête internationale sur les origines de la crise covid.

Se poser en moralisateur de la vie politique libanaise est une chose mais s'attaquer au géant chinois en est une autre, surtout quand faute de réindustrialiser notre pays, celui-ci est dépendants de l'industrie chinoise et qu'on cherche encore et toujours à y décrocher des marchés.
C'est dire si le sort de quelques agitateurs (plus de 2 M tout de même sur une population d'environ 7,5 M) pèse peu devant les enjeux économiques et la politique-réalité. D'ailleurs lors de son entretien téléphonique du 25 février dernier avec le président chinois Xi Jiping, le président du "pays des Lumières" s'est bien gardé de toute allusion sur Hong Kong en particulier et les droits de l'Homme en général dans l'Empire du Milieu, alors que lui-même rêve d'un système de sécurité à la chinoise.

Quand la Chine s'éveille¹, les démocraties s'endorment.

(1) allusion à l'ouvrage d'Alain Peyrefitte "Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera" (éditions Fayard 1974)