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Réforme des retraites : Macron s'entête, la France renâcle
C'est presque la main sur le cœur qu'il confessait avoir changé mais ça, c'était avant. Avant l'élection présidentielle, avant les législatives qui lui ont prouvé que, loin du plébliscite, c'était un net déficit de confiance que lui opposaient les électeurs.
Mais la remise en cause, ce n'est pas le truc de Macron. Pire, refusant d'admettre qu'il n'a été élu que pour faire barrage à la le Pen, il affirme avec un culot admirable que c'est sur ce projet de réforme que les Français ont reconduit son bail à l'Élysée.
Et, tout occupé à sauver le monde qui n'en demandait pas tant, il laisse à ses ministres le soin de mettre sa partition en musique.
Et de gérer les couacs.Mais en fait de couacs, le maestro Macron à permis une harmonie syndicale qu'on n'avait plus vue depuis 1995 et que personne n'avait réellement anticipée.
Le gouvernement s'attendait certes à une mobilisation contre la réforme, de l'ordre de 500 000 à 700 000 manifestants, mais se sentait serein comme le montrent les propos du porte-parole Olivier Véran qui prouve encore son sens de l'anticipation devant les journalistes le 11 janvier.On n’a pas le sentiment d’une focalisation de l’opinion. Les gens sont plutôt sur le prix de l’énergie, le pouvoir d’achat et même la sécurité. Il ne faut pas être présomptueux, bien sûr, mais on entend assez peu parler de retraites.
L'ex ministre de la Santé ne croyait pas si bien dire en énumérant ainsi la somme des mécontentements qui minent le moral des Français.
Si depuis les Nuits Debout qui saluèrent la loi el Khomri, concoctée par Walls et Macron, ce dernier a bénéficié d'une relative passivité des Français face aux textes qui ont violemment détricoté le contrat social entre travailleurs, patronat et État, le mouvement des Gilets Jaunes a montré qu'il en faut désormais peu pour que les colères s'agglomèrent jusqu'à une explosion plus radicale et plus violente.Les raisons de la colère
La méthode Macron
Lors des précédents conflits autour du sujet des retraites, que ce soit en 1995, en 2003 ou en 2010, le dialogue avec les partenaires sociaux n'allait pas de soit a priori : pas de consultation lors de l'élaboration des réformes mais, face à la grogne, les ministres en charge acceptaient un dialogue qui permettait de relatifs aménagements. Même si en 2010 le très libéral Sarkozy promettait la mise en place ce cette énième réforme, son ministre du Travail Éric Woerth acceptait des aménagements après concertation avec les syndicats.
Avec Macron, ces méthodes de l'ancien monde n'ont plus cours. Il décide dans le plus grand mépris des corps intermédiaires qu'il qualifie "d'irresponsables" et à ses ministres de lancer "la concertation". La concertation dans le monde de Macron c'est "cause toujours, tu m'intéresses".
Cette réforme des retraites est un totem de ses quinquennats et la méthode lui importe assez peu pourvu qu'elle passe.A ce titre, il est intéressant de revenir sur une des mesures "justes" proposées par Élisabeth Borne, la pénibilité.
Explication de texte : en 2017 Macron fait passer ses fameuses "ordonnances Macron", dans la quasi indifférence générale, hormis une poignée "d'irresponsables" qui défilèrent en ordre dispersé. Dans ce package ultra libéral figure la suppression de 3 critères de pénibilité, les postures pénibles, le port de charges lourdes et les vibrations mécaniques. Car pour Macron si "emmerder" n'est pas un gros mot, "pénibilité" en est un, comme il l'a expliqué en octobre 2019 lors d'un déplacement à Rodez, pour présenter sa future réforme phare :Moi j'adore pas le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible
Qu'importe à Macron le rapport de la Dares1 (2016) qui explique que 69,7 % des ouvriers sont exposés à au moins un de ces facteurs, "ceux qui ne sont rien" ne l'intéressent que quand ils votent pour lui.
Mais miracle ! Dans le cadre de la "concertation", leitmotiv de la première ministre, le duo Borne-Dussopt ressort la pénibilité du chapeau, mesure "juste", feignant une grande avancée.
Les amateurs de bonneteau apprécieront !Un sentiment d'injustice
Les "gaulois réfractaires" ne sont pas "irresponsables" et il y a beau temps que les Français ont largement intégré le fait que les temps changent et que les sociétés doivent s'adapter.
Même si l'individualisme forcené a fait un grand bond en avant, pour les Français le mot "solidarité" n'est pas un vain mot. C'est au nom de cette solidarité qu'ils sont prêts à accepter de renoncer à certains totems tels que la retraite à 60 ans pour que leurs enfants et petits-enfants bénéficient encore du système par répartition. Ils sont prêts à faire un effort mais à condition de l'effort soit l'affaire de tous.On est loin du compte avec d'un côté des cadeaux par millions d'euros aux entreprises du CAC40 (160 Mds d'euros par an environ) et de l'autre une uberisation du travail, une destruction volontaire des carrières longue durée, un assèchement des bassins d'emploi, une évolution des salaires a minima où les primes prennent le pas sur le salaire de base, sur lequel est calculé le montant de la retraite.
Au nom de la compétitivité, argument recevable dans une économie productive, l'allègement des charges patronales s'est opérée au détriment des salaires mais aussi de la protection sociale. Il est évident que les travailleurs auraient accepté ce changement de braquet à condition qu'il y ait une exigence de contrepartie pour les entreprises qui bénéficient des aides de l'état. Or, il n'en est rien.Entre les superprofits, l'explosion des dividendes (elle est où la crise ?), et certaines revalorisations salariales quasi obscènes (les 52 % du patron de Total ne passent toujours pas), on se dit que si "l'argent magique" est censé ne pas exister, cette politique du "touche pas au grisbi, salope !" est une déclaration de guerre aux travailleurs.
Outre le rapport du Core qui ne brandit pas l'étendard de l'urgence de cette réforme en l'état, les travailleurs français se demandent légitimement pourquoi ne pas prendre de l'argent là où il est.Le rapport Oxfam montre que grâce à l'injection d'argent public et non pas grâce à un développement de leur production, la fortune des milliardaires français a augmenté de 58 % depuis 2020 alors que les foyers français, malgré les aides, perdaient 760 € entre janvier et juillet 2022 (chiffres INSEE).
Une taxation de seulement 2 % de la fortune des milliardaires français suffirait à financer le déficit à venir des retraites. Une taxation sur les dividendes ne pourrait que consolidé ce régime cher aux travailleurs, ceux qui en chient vraiment !
Union syndicale et colère populaire
Bien malgré lui, Macron a réussi à redonner une nouvelle légitimité aux syndicats pourtant en perte d'audience auprès des travailleurs mais il a réussi un exploit auquel il ne s'attendait certainement pas, unifier ces mêmes syndicats qui, depuis 1995, avaient bien du mal à faire front commun dans l'intérêt des travailleurs.
Même la CFDT qui au mot "complaisant" préfère celui de "réformiste" depuis Nicole Notat, a défilé au coude-à-coude avec son frère ennemi de la CGT !Cet après-midi, ce sont les jeunes, pourtant peu enclin à se mobiliser sur le front social, qui défilent contre une retraite qu'ils sentent de moins en moins accessible.
Entre 1,2 et 2 millions de manifestants ont battu le pavé , un nombre qui rejoint celui de 1995.
C'est un coup de semonce que le pouvoir ne doit pas ignorer et encore moins mépriser en ajoutant quelques mesurettes, noisettes de vaseline pour faire passer en force une réforme dont les Français ne veulent pas supporter seuls le fardeau.En attendant le 30 janvier, prochain rendez-vous de la mobilisation, l'exécutif persiste dans une novlangue toujours méprisante en feignant de ne pas avoir été assez pédagogues pour nous expliquer cette réforme pleine de "justice", sous entendu que nous sommes vraiment trop cons pour comprendre.
Mais si ! Nous vous avons compris !
Protégez les riches, faire peser l'effort sur les pauvres et créer de plus en plus de précarité (merci à la réforme du chômage !) c'est pas dur à comprendre.Macron a-t-il compris le message de la rue ?
Probablement et pourtant il préfère ne pas en tenir compte.
Tandis que jeudi nous nous caillions pour lui délivrer notre message, il montrait sa détermination lors de la conférence de presse qui a suivi sa visite à Barcelone où il était venu parler gros sous :C'est une réforme qui a été démocratiquement présentée lors de l'élection présidentielle et des élections législatives. Elle a été étudiée avec les organisations syndicales et elle a été validée par le gouvernement. C'est une réforme juste et responsable. La France est un peu décalée par rapport aux autres pays sur le sujet et si l'on veut être juste entre les générations, on doit faire cette réforme
A nous d'être "pédagogues" pour lui expliquer qu'il ne faut pas confondre "entêtement" et gouvernance éclairée.
Tous ensemble ! Tous ensemble ! Ouais ! Ouais !
1 - DARES : Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques, qui dépend du ministère du Travail
Tags : réforme, retraites, totem, inégalités, travail, syndicats, manifestations, Macron
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