• Cinq jours.
    C'est le dernier délai pour les évacuations de ressortissants étrangers et pour quelques afghans qui aidèrent les forces de l'OTAN depuis 2001, sauf pour la France qui cessera les évacuations des ce soir.

    Onze jours.
    C'est le temps qu'il aura fallu pour que la charia revienne rythmer la vie des Afghans.
    C'est le temps qu'il aura fallu aux dirigeants internationaux et peut-être aux opinions publiques pour mesurer l'étendue d'un désastre politico-militaire tout en bottant en touche en accablant le président Joe Biden.

    Onze jours c'est aussi le temps qu'il aura fallu aux dirigeants russes pour revenir au premier plan de la diplomatie dans le secteur en se posant comme interlocuteurs médiant pour "un dialogue participatif" tout en dénonçant les effets désastreux de l'interventionnisme américain. Sur un ton qui n'est pas sans rappeler le "bon vieux temps" de la guerre froide, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, accuse les USA et leurs alliés d'avoir provoqué l'explosion du terrorisme, du narcotrafic et du flux des migrations illégales, pour conclure par une leçon magistrale : "cette politique irresponsable qui cherche à imposer des valeurs venant de l'extérieur, à bâtir la démocratie selon les normes des autres sans tenir compte des particularités historiques, ethniques et régionales, au mépris des traditions des autres peuples."
    On est prié de ne pas rire, à moins d'avoir de la mémoire. (cf. article du 25/08/21) et de se rappeler l'épisode tchétchène.

    Joe Biden, bouc émissaire ?

    Politiques occidentaux et media tombent à bras raccourcis sur le nouvel occupant de la Maison Blanche attendent de lui une prise de position plus ferme que celles exprimées depuis le début de la crise.
    Signature des accords de Doha fév.2020C'est oublier un peu vite que Joe Biden est empêtré dans une situation inextricable générée par ses prédécesseurs. C'est oublier la signature des accords de Doha signés le 29 février 2020 par le gouvernement Trump, véritable accord de dupes qui relève soit de l'angélisme soit d'une incorrigible ignorance des mœurs de la région. 
    A cette date Le Monde titrait : "L’accord historique entre Américains et talibans ouvre un nouveau chapitre à l’issue incertaine". Tout aussi prudent, L'Express titrait quant à lui "En Afghanistan, le mirage d'une paix durable", évoquant les "intentions floues" des talibans.
    Là encore, prière de ne pas rire !

    Toujours est-il que pour Joe Biden la marge de manœuvre est quasiment nulle. Même si des voix s'élèvent pour une nouvelle intervention militaire américaine, celle-ci serait irréaliste tant diplomatiquement, le retrait des troupes étrangères étant actées par cet accord, que sur le plan militaire.

    Une Europe impuissante et frileuse

    On s'en doutait mais l'évacuation de Kaboul le confirme : sans l'égide américaine, l'Europe est une grande impuissance militaire et diplomatique.

    Tandis que le retrait complet des troupes américaines avance à grands pas, les critiques de l'Europe à l'encontre de l'allié américain se font de plus en plus virulentes pour demander son appui au delà du 31 août.
    Ces prises de position soulignent, s'il en était encore besoin, la subordination économique et militaire de la Communauté européenne à l'Amérique, quitte à se mettre dans l'incapacité de défendre elle-même ses intérêts propres et ses ressortissants.

    Pour ce qui est de l'accueil de réfugiés afghans, derrière les discours de circonstance teintés d'humanisme et de féminisme se cachent des enjeux électoralistes (France et Allemagne) en répondant à l'extrême-droitisation des opinions publiques.
    Mais c'est promis : l'Europe apportera une aide financière aux pays voisins tels que l'Iran ou le Pakistan (qui a soutenu à la fois les talibans et Al Quaïda en d'autres temps), pays bien connus pour leurs valeurs humanitaires ¿

    Quel avenir pour le régime taliban ?

    Conjectures et politique-fiction sont au menu pour répondre à cette question à laquelle pour le moment aucun gouvernement étranger n'apporte de réponse, sinon financière.

    Arsenal renforcé par le matériel américain

    Si on peut s'interroger sur la provenance de l'armement qui a permis aux talibans de reprendre le pouvoir aussi rapidement, vient une certitude : il est désormais renforcé par le matériel abandonné par l'armée régulière en fuite au début du mois.
    Hélicoptères de combat Blackhawk (40 sur 208), blindés légers, véhicules légers de type Humvee,(au total 2000 véhicules d'après une estimation américaine) fusils d'assaut, roquettes, lunettes à visée nocturnes, uniformes... autant d'équipement de pointe qui renforce la puissance de feu du régime contre toute résistance sur son territoire.

    Certains membres de l'état major US se rassurent en évoquant la nécessité d'une formation spécifique et des opérations de maintenance nécessaires. Pari risqué car rien à ce jour ne peut garantir que d'anciens soldats du gouvernement déchu ne se chargeront pas, de gré ou de force, d'apporter leur savoir aux talibans.
    Des frappes aériennes sont envisagées sur les matériels lourds mais le risque d'envenimer les tensions avec les talibans tempère cette option, pour le moment.
    Sans compter que l'opération serait plus compliquée s'il venait aux talibans l'idée de disperser ce matériel à travers le pays...

    Voie diplomatique, quelle issue ?

    L'histoire passée et plus récente montre les limites de la diplomatie face à un régime qui méprise ouvertement les puissances occidentales, faibles et décadentes.
    Même si les talibans affichent une ouverture au dialogue, toute relative, on peut craindre à tout moment une rupture unilatérale d'éventuels accords à venir.
    Sur l'échiquier diplomatique, difficile de parier sur une quelconque solidarité internationale pour fixer une ligne politique commune à l'égard (ou à l'encontre) de ce régime, sinon sur le sujet du terrorisme. Russie, Amérique, pays arabes mais également la Chine affichent depuis le début des lignes trop différentes pour influer efficacement sur les talibans et leur politique intérieure.

    Sanctions financières

    C'est actuellement la voie suivie par les puissances occidentales qui financèrent le précédent pour peser sur le régime taliban. Les 7 milliards de dollars déposés par l'ancien régime auprès de la Réserve Fédérale américaine sont gelés, le FMI suspend également son aide (370 M de dollars qui devaient être versés début septembre sont également gelés). L'argent étant le nerf de la guerre, il est évident que c'est un coup rude pour le nouveau régime. Un coup rude qui n'est cependant pas définitif.
    Une première voie pour tenter de compenser ce manque à gagner est le narcotrafic, très développée dans les zones contrôlées par les talibans. L'Afghanistan est le premier exportateur mondial de pavot avec une offre qui dépasse la demande.

    Les talibans pourraient-ils réussir là où l'ex président Ashraf Ghani a échoué ?
    C'est la deuxième voie qui pourrait à la fois pallier au gel des financements afghans et permettre au pays son PIB.
    Car si l'Afghanistan est un des pays les plus pauvres du monde, son sous-sol regorge de ressources naturelles qui suscite depuis longtemps la convoitise des puissances industrielles et qui pourraient influer sur les relations diplomatiques à venir.
    Pétrole, gaz naturel, cuivre, platine, uranium pour ne citer que ces quelques ressources mais surtout le lithium, ce métal rare qui fait l'objet d'une demande croissante (batteries, matériel hi tech).

    Un régime dans la durée ?

    Rien n'est moins sûr tant l'instabilité politique fait partie des "traditions" afghanes.

    Sur le plan intérieur, les luttes endémiques entre les différentes ethnies et les différents courants religieux n'ont pas cessé.
    De sa province du Pandjchir le fils du commandant Massoud a repris la lutte de son père et les talibans ont échoué à le déloger de ses montagnes. A l'international des voix s'élèvent pour un soutient massif au nouveau commandant Massoud.
    Un autre écueil se dresse devant les talibans, celui de Daech/État islamique qui opèrent non seulement sur le territoire mais également à partir de leurs bases à l'étranger et qui ne verraient pas d'un mauvais œil la chute du nouveau régime qu'ils jugent trop mou dans l'application d'un islam fondamentaliste encore plus dur. 

    Alors, ce régime honni pourrait-il être soutenu officieusement par ses ennemis déclarés pour des raisons économiques mais aussi des raisons stratégiques contre le terrorisme international de Daech, ennemi des talibans ?
    En Afghanistan tout est possible. Même le pire.


    NDLA : le présent article a été rédigé avant les attentats de Kaboul

     


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  • Le retour des mollahs 

    L'Histoire bégaie avec cruauté.
    A moins qu'elle n'ait jamais cessé de murmurer sans qu'on l'écoute.

    La reddition sans gloire du gouvernement afghan devant l'avancée inexorable des Talibans et la chute de Kaboul sont la couronne d'épines qui ceint le front dégarni d'une diplomatie internationale imprévoyante et incapable.

    Tandis que l'aéroport de Kaboul est envahi par une foule qui souhaite fuir (on les comprend !) le retour d'un fondamentalisme déjà subi il y a plus de 20 ans, les politiques et les media internationaux font chorus pour souligner l'échec des USA et de Joe Bidden.

    Talibans dans la palais présidentiel-Kaboul 16/8/21 Photo Zabi Karimi

    En essayant d'oublier que la responsabilité est collective.
    Et que depuis l'émergence du mouvement taliban en 1994 la communauté internationale, USA en tête, s'est enferrée dans le guêpier afghan.

    Retour en arrière sur la chronique d'un échec annoncé.

    Lire la suite...


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