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Derek Chauvin : coupable
Ce qui aurait pu n'être et ne rester qu'un fait divers parmi tant d'autres aux USA, un black tué par un flic blanc sur une avenue de Minneapolis est devenu une déflagration mondiale.
Ce 25 mai 2020 vers 08:10 pm (heure US), un nom, un visage et un cri allaient faire le tour du monde.
George Floyd est devenu un symbole et sa plainte "I can't breathe" est devenu le cri de ralliement du mouvement Black Lives Matter.
George Flyod aurait-il été abattu d'un coup de feu que, très probablement, sa mort n'aurait été qu'une bavure de plus d'un policier blanc qui aurait été exonéré de toute responsabilité.Mais George Floyd a vécu une agonie de 8 mn et 46 secondes sous le genou d'un homme, avant que le silence n'alerte les collègues de son tortionnaire.
Un racisme institutionnel
On était habitués (hélas !) à la longue litanie des noms d'afro-américains abattus par la police, aux émeutes qui en suivaient depuis les années 60.
On était habitués à la quasi impunité des policiers.
Le temps de s'émouvoir quelques minutes pendant un JT, le temps d'éteindre les incendies.Mais la mort de George Floyd va secouer l'Amérique et le monde.
C'est d'abord la vidéo de la jeune ado Darnella Frazier ainsi que celle d'un autre témoin qui deviennent virales et les images sont insoutenables pour tout être humain digne de ce nom. Le travail du New York Times sur ces vidéos retrace de façon précise les circonstances de ce drame.
Un autre visage va devenir un symbole, celui de Derek Chauvin, un des policiers agenouillés sur Floyd.
Serein, main dans la poche, indifférent, comme sûr de son impunité.
Car si George Floyd n'est pas un modèle de vertu, Derek Chauvin aligne lui aussi un palmarès impressionnant avec 17 plaintes pour brutalité, 3 tirs dont un létal, affaires toutes classées sans suite. Son collègue Tou Tao n'en aligne "que" 6 mais sera poursuivi pour brutalité en 2017.Dans l'Amérique de Donald Trump, clivée comme jamais, où l'extrême droite se sent pousser des ailes, c'est l'explosion et il n'est pas à exclure que cette affaire, après la fusillade de Charleston, ait pesé sur le scrutin présidentiel.
Un procès à la portée historique
Le procès qui s'est ouvert le 9 mars dernier avait une portée quasi historique et c'était le procès de tous les dangers.
Après une forme d'hystérisation autour des manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd, il aurait été désastreux que le débat judiciaire s'enflamme. Mais malgré le battage médiatique, la cour de Minneapolis a su évité l'écueil sous la présidence du juge Peter Cahill.
Derek Chauvin, qui comparait libre, est représenté par Eric Nelson face à l'accusation, portée par le procureur Jerry Blackwell. Derek Chauvin quant à lui évoque le 5ème amendement qui lui permet de ne pas s'auto incriminer.
Le réquisitoire de l'accusation est implacable, les témoignages bouleversants, particulièrement ceux de la jeune Darnella Frazier et de Christopher Martin, ce jeune caissier qui avait appelé la police et qui se sent aujourd'hui responsable de la mort de George Floyd.Tandis qu'Eric Nelson évoque pêle-mêle les soucis de santé et la consommation d'opioïdes de la victime et qui justifie l'intervention de Derek Chauvin en parlant d'un policier "raisonnable à ce moment précis", agissant face à une "foule hostile" (ce qui est loin d'être démontré par les vidéos) et appliquant les procédures qu'on lui a enseignées, le réquisitoire du procureur adjoint Steve Schleicher est implacable :"On vous a dit, par exemple, que M. Floyd était mort parce que son cœur était trop gros, a-t-il lancé aux jurés. Maintenant que vous avez vu et entendu toutes les preuves, vous connaissez la vérité. Et la vérité, c’est que George Floyd est mort parce que le cœur de M. Chauvin était trop petit."
Eric Nelson insiste sur le fait que l'accusation n'a pas pu fournir de "preuves au-delà du doute raisonnable" mais les témoignages des médecins légistes et de Richard Zimmerman, vétéran de la police sont dévastateurs pour la défense.
Pire, le juge demande que les images des caméras embarquées des agents J. Alexander Kueng et Thomas Lane soient projetées durant l'audience, laissant raisonnablement peu de doute.Le jury, qui doit rendre un verdict unanime, délibérera 10 heures ce qui au regard de le justice américaine est relativement court sur une telle affaire.
Dix heures pour déclarer Derek Chauvin coupable de tous les chefs d'accusation retenus contre lui : meurtre, homicide involontaire, violences volontaires ayant entraîner la mort.
Il encourt au moins 12 ans et demi de prison.C'est un verdict très rare et qui apaise les tensions, exacerbées par la mort de Daunte Wright, jeune afro américain, abattu la semaine dernière dans la banlieue de Minneapolis, par une policière blanche qui aurait confondu son Taser avec son arme, lors d'un simple contrôle routier.
Ce verdict aura sans aucun doute un impact.
Tout d'abord sur le procès des trois autres policiers, Alexander Kueng, Thomas Lane et Tou Thao, , actuellement libérés sous caution (75 000 $), accusés de complicité de meurtre au deuxième degré et d'homicide involontaire au deuxième degré. Contrairement à ce qui avait été annoncé en novembre dernier, ils seront donc jugés le 23 août, séparément de Derek Chauvin.L'autre impact, plus qu'urgent, devrait être la fin du sentiment d'impunité de certaines policiers américains.
Pendant son réquisitoire le procureur a eu ces mots : "Il ne s’agit pas du procès de la police. Il s’agit du procès de l’accusé et il n’y a rien de pire pour les bons policiers qu’un mauvais policier, qui ne suit pas les règles, qui ne suit pas la procédure, qui ne suit pas sa formation et ignore les mesures de son département."
A méditer par le locataire de la place Beauveau et de certains policiers qui crient justice... pour les autresA cause de questions légales en suspens, je ne suis pas en mesure de faire une déclaration formelle à ce stade mais, brièvement, je tiens à présenter mes condoléances à la famille Floyd.
MISE A JOUR
Derek Chauvin qui risquait entre 12 (peine minimale) et 40 ans (peine maximale) de prison, a été condamné le 25 juin 2021 à 22 ans et demi de prison.
Alors que beaucoup s'attendaient à la sentence minimale, le juge Peter Cahill a retenu quatre circonstances aggravantes : "abus de sa position de confiance et d'autorité", "crime en réunion", "commission d'un crime devant mineurs" et enfin "grande cruauté".
Service minimum de la part de Derek Chauvin qui n'exprime ni regret, ni excuse :
"A cause de questions légales en suspens, je ne suis pas en mesure de faire une déclaration formelle à ce stade mais, brièvement, je tiens à présenter mes condoléances à la famille Floyd".C'est un frémissement dans l'approche à venir de la justice face à d'autres cas mais également des jurés qui jusqu'à présent laissaient largement le bénéfice du doute aux forces de l'ordre.
Dans ce pays où les forces de l'ordre tuent en moyenne un millier de personnes par an et où moins de 10 condamnations pour meurtre sont prononcées, il ne faudra pas s'attendre à une vague de fond dans le traitement de ces affaires tant le système est corrompu.
Ce verdict, exemplaire et extraordinaire, ne restera qu'une "anomalie" tant qu'une réforme de fond structurelle ne sera pas entreprise au niveau fédéral.Mais au moins, une fois, la justice aura parlé.
Tags : George Floyd, Derek Chauvin, Minneapolis, procès, verdict, condamnation, police, Eric Nelson, procureur, Jerry Blackwell, Steve Schleicher, I can't breathe
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