• L'homme qui fait trembler l'exécutif

    C'est quasiment une routine parlementaire : à un 49.3 répond une motion de censure, voire plusieurs.
    Sur une soixantaine de motions de censure déposées sous la Vème République, une seule a abouti, le 5 octobre 19621.

    C'est dire si Élisabeth Borne s'est fait plaisir en concluant son intervention du jeudi 16 mars sur une pointe d'ironie quant à l'échec prévisible des motions de censure à venir.

    Dans quelques jours, je n’en doute pas, à l’engagement de la responsabilité du Gouvernement répondront une ou plusieurs motions de censure.[...]
    Un vote aura donc bien lieu, comme il se doit. C’est donc la démocratie parlementaire qui aura le dernier mot !

    Sauf que ce dernier épisode parlementaire montre que désormais, plus que par le passé, parier sur les votes est devenu risqué.

     

    Charles de Courson, l'opposant inattendu

    Pour la plupart des Français l'homme est un inconnu ou presque, pour d'autres il est une relique de "l'ancien monde" mais pour à peu près tous il incarne une certaine image de la politique.
    Pourtant, celui qu'au Palais Bourbon on appelle "le moine-soldat",  fait trembler l'exécutif.

    L'homme qui fait trembler l'exécutif
    Cliché Ludovic Marin pour AFP (mars 2020)

    Homme de conviction et de principes

    Charles Amédée Simon du Buisson de Courson est, comme son nom l'indique, de vieille noblesse2
    Un brin "réac" (il votera contre le mariage homosexuel) et de droite libérale (il soutiendra Pécresse pendant sa campagne présidentielle), Charles de Courson est reconnu par tous pour sa rigueur morale ainsi que pour ses convictions républicaines.

    Il faut dire que dans la famille du Buisson de Courson la défense des convictions, c'est une tradition !
    Son ancêtre le marquis Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, élu député de la Constituante, écrira un projet de Code Pénal où il prône la dépénalisation de la sodomie, l'homosexualité, le blasphème, le sacrilège, etc., alors passibles de la peine de mort dont il propose l'abolition pour la remplacer par la perpétuité. Dans le contexte agité de l'époque, il se ravisera cependant et votera l'exécution de Louis XVI.
    Son grand père Félix Robert tombe au champ d'honneur en 1916. Son épouse mourra au camp de concentration de Bergen Belsen en 1945.
    Ses fils, Guillaume et Aymard - père de Charles - seront Résistants dans le même réseau.
    Le beau-père d'Aymard, Léonel de Moustier, en tant que député du Doubs fera partie des 80 parlementaires3 qui refuseront de voter les pleins pouvoirs à Pétain, contre 589 pour (20 abstentions). Il sera déporté et mourra au camp de concentration de Neuengamme.

    On dit que "bon sang ne saurait mentir".
    En près de quarante ans de carrière politique (maire en 1986) Charles de Courson a toujours été fidèle à sa famille politique de centre droit et si il lui est arrivé d'apporter son soutien à des membres d'une autre famille politique, ce fut par conviction et non par complaisance.

    De Courson : l'antithèse du macronisme

    Sobre, presque jusqu'à l'austérité, cet ancien de la Cour des comptes et haut fonctionnaire de la Direction du Budget, il exerce son expertise en finances publiques au sein de la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale.
    Inlassablement il traque les contradictions gouvernementales dans la gestion de l'argent publique et fustige l'accumulation des dépenses.

    Dès l'élection d'Emmanuel Macron, il n'est pas vraiment fan du personnage et ne s'en cache pas. Le concept du "nouveau monde" ? Il n'adhère pas. Pas plus qu'il n'adhère à sa gestion des finances publiques.

    Je connais le monde de l'argent, j'en suis issu, j'en connais les limites.

    Pire, pour cet homme issu d'une famille où le respect de la République est presque un mantra, le mode de gouvernance de Macron ne passe pas. Il le clamera haut et fort sur les bancs de l'Assemblée : en janvier 2019 le gouvernement propose la loi "anticasseurs" et ses propositions d'interdictions administratives de manifester. C'en est trop pour cet homme calme qui explose.

    Où en sommes-nous mes chers collègues, c'est la dérive complète! On se croit revenu sous le régime de Vichy.
    Les larmes aux yeux il poursuit :
    Mon père a été proscrit, poursuivi par la police de Vichy, qualifié de terroriste alors qu'il était un patriote. Quand vous commencez à toucher aux libertés publiques, il faut faire bien attention

    Protestations sur les bancs de la majorité et applaudissements sur les bancs de la gauche.
    Il se confiera au micro de Paul Larrouturou pour l'émission Quotidien, évoquant à nouveau son père mais également son grand-père maternel mort en déportation (voir plus haut), les larmes aux yeux.

    Motion de censure : le coup de semonce

    La rumeur d'une possible motion de censure déposée par LIOT4 (le groupe de Charles de Courson) en cas de passage en force de la réforme des retraites, circulait dès le 11 mars dans les couloirs de l'Assemblée tandis que l'exécutif raclait les bancs LR pour trouver des voix.

    Ce n'est pas à proprement parler une surprise. Le 9 février, Charles de Courson apostrophait le gouvernement, fustigeant sa manière d'utiliser la Constitution pour confisquer le débat parlementaire.

    Votre projet n'a pas de légitimité démocratique. La confiance, vous ne l'avez pas !

    Dans une entrevue accordée à Mediapart le 17 mars, Charles de Courson va encore plus loin.

    Il y a dans cette histoire un déni démocratique très grave qui persiste. On a un gouvernement hyper-minoritaire, qui se targue de sa légitimité démocratique mais qui est minoritaire à l’Assemblée nationale et qui a fait 25 % au premier tour des élections législatives. Comment voulez-vous diriger une démocratie avec une base sociale aussi faible et étroite ? Sans oublier l’arrogance avec laquelle ils se comportent et traitent le Parlement.

    Quelles chances a-t-elle d'être votée ?

    Dans mon préambule, je soulignais le ton ironique de la Première Ministre qui misait très probablement sur une motion de censure NUPES et une RN, ce qui la rendait optimiste.

    La motion de censure du groupe LIOT rebat les cartes de l'opposition parlementaire d'autant que, à gauche comme sur les bancs du RN, c'est clair : les deux groupes la voteront.

    La NUPES a créé la surprise en annonçant qu'elle ne présentera pas de motion de censure mais qu'elle votera celle de LIOT. 
    Car si à gauche on n'est pratiquement d'accord sur rien avec la ligne de Charles de Courson, le capital respect dont il jouit est indéniable. La jeune députée LFI Alma Dufour, qui salue "sa sagesse" en parle presque avec affection : "Il est très technique, c'est notre grimoire. Il a un peu [un] côté Père Castor5".
    Pour Olivier Faure (PS) "C'est la Noblesse qui rejoint le Tiers-État" (Twitter)

    Arithmétique et politique

    Pour être adoptée, une motion de censure doit recueillir une majorité de 287 voix.

    J'ai sorti la calculette et si on additionne les voix des groupes d'opposition, on obtient 257 voix à condition que tous les membres votent pour.
    Bien qu'il se soit autoproclamé "groupe d'opposition", le groupe LR empêtré dans ses errances politico-politicardes peut-il apporter des voix ? Difficile à dire tant les dissentions au sein des Républicains brouillent le message. Plus prosaïquement, les députés LR redoutent une éventuelle dissolution et la réaction de leurs électeurs dans leurs circonscriptions respectives : rien ne garantit une éventuelle réélection.
    Même diagnostic chez Horizon et le Modem qui vaille que vaille soutiennent le groupe Renaissance et qui ont les mêmes sueurs froides à l'évocation d'une dissolution.

    Globalement les titres des media sont tous une variante sur le thème "Le gouvernement ne va pas tomber lundi" (France Inter). Les estimations oscillent entre 261 et 277 voix.

    Quel est le but de Charles de Courson ?

    Veut-il vraiment renverser le gouvernement ? Veut-il une dissolution comme en aurait menacer Macron ?
    Difficile de l'affirmer à la lecture des déclarations de Charles de Courson.

    Ce qui est indéniable c'est qu'il souhaite que l'Assemblée Nationale envoie un message fort au gouvernement mais surtout au président de la République : arrêtez de bafouer la représentation nationale !
    Il connait suffisamment la vie parlementaire pour savoir que sa motion de censure n'atteindra peut-être pas la majorité absolue mais il sait que plus les votes seront nombreux, plus le coup de semonce sera fort, assez fort pour mettre en garde l'exécutif.

    Ce fin connaisseur de la vie politique est inquiet, comme il le confie, toujours à Mediapart.

    Je ne suis pas sûr que le président de la République ait mesuré toutes les conséquences de sa décision.
    Le pays va devenir de plus en plus ingouvernable. Je pense que l’actuel gouvernement est à l’agonie. On parle du changement de première ministre : ça me paraît évident mais ça ne règlera pas le problème de fond. Ça va très mal se passer, à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans la rue.

    Charles de Courson a-t-il mesuré la morgue du président de la République ? Probablement.
    Et ce n'est pas rassurant... 


    1 : motion de censure du 4 octobre 1962 votée le 5, historique (site de l'Assemblée Nationale)
    2 : première filiation reconnue à la famille du Buisson en 1526
    3 : la séance réunissait Sénat et Assemblée le 10 juillet 1940 à Vichy
    4 : LIOT : Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires. Groupe parlementaire regroupant 20 députés d'horizons politiques divers.
    5 : Père Castor : collection d'ouvrages didactiques pour enfants créée en 1931 où, par le biais d'histoires qu'il raconte à ses enfants, le Père Castor raconte et explique le monde et la vie.

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