• Le RN vous remercie ¿

    C'est une image que je ne pensais pas voir de mon vivant, une image qui il y a 20 ans paraissait indécente à la majorité des Français attachés à la République et à la démocratie.

    Groupe RN 2022

    Dans ce qui fut le pays des Lumières, dans ce qui fut le pays des Droits de l'Homme, cette image est comme une énorme verrue sur le nez de Marianne.*

    Au sortir de ce scrutin législatif 2022, l'arrivée de 89 députés RN est une victoire incontestable pour Marine le Pen qui réussit là où papa s'était heurté au front républicain.

    C'est le jeu de la démocratie mais quelle claque politique ! 
    Merci qui ?

    La marche brune

    L'histoire du Rassemblement National n'est pas récente.

    Si sa prime genèse commence dès 1949, c'est dans les années 60 que l'extrême droite française entame sa mutation. Les 60's verront l'émergence de groupuscules agités et violents tels la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN) ou encore le tristement célèbre Groupe Union Défense (GUD), qui fusionneront dans le mouvement Occident qui deviendra lui-même le parti politique Ordre Nouveau (1969) qui comptera dans ses rangs Gérard Longuet ou encore Alain Madelin.
    A la suite de son congrès en juin 1972, Ordre Nouveau crée un parti visant à unir l'extrême droite dans la perspective de la marche vers le pouvoir : le Front National.
    Jean-Marie le Pen en sera le président jusqu'en 2011. Pour l'anecdote, à sa fondation, le FN aura pour trésorier un certain Pierre Bousquet, ancien Rottenführer (caporal) de la SS Charlemagne.

    Proportionnelle à double tranchant

    En 1981 c'est un coup de tonnerre politique dans une France dirigée par la droite depuis la Libération : le socialiste François Mitterrand est élu président de la République.

    Quand face à la réalité économique la gauche prononce le mot "rigueur", elle sait déjà que le coût électoral sera élevé, d'autant que des "affaires" viennent entacher l'image de probité du gouvernement.
    La droite sait qu'elle tient sa revanche et déjà la porosité entre le RPR (aujourd'hui LR) et le FN permet à ce dernier de remporter des municipalités grâce à des accords avec le parti chiraquien.

    CohabitationCe sont les législatives de 1986 qui ouvriront pour la première fois les portes du Palais Bourbon au FN grâce à l'institution de la proportionnelle dans ce scrutin à un tour par le gouvernement socialiste.
    Calcul politique de Mitterrand ? Probablement a-t-il misé sur un affaiblissement de la droite républicaine. Politiques et journalistes restent encore divisés sur ce point.
    C'est oublier que cette proposition figurait dans le programme de la gauche avant son arrivée au pouvoir.


    En tout cas la mesure divise la gauche (Rocard démissionnera), la droite où les héritiers du gaullisme (Jacques Chirac, Simone Veil ou encore Philippe Seguin) sont vent debout contre tout compromis avec l'extrême droite alors que d'autres seront moins regardants.
    Résultats de ces tambouilles électorales : Jacques Chirac devient le premier ministre de la première cohabitation de la Vème République et le FN acquiert enfin une reconnaissance politique avec 35 élus et la constitution d'un groupe parlementaire baptisé... Rassemblement National.
    Le premier ministre Jacques Chirac rétablit illico le scrutin majoritaire.

    Front National vs Front Républicain

    Désormais Jean-Marie le Pen en est sûr : son destin est national et il se présentera 5 fois à l'élection présidentielle.

    Mais l'homme et ses outrances inquiètent. Pire, il fait peur.
    Cet ancien para, soupçonné d'actes de torture mais qui aurait enterré fait enterrer des soldats musulmans selon leurs rites, a une personnalité des plus clivantes.
    Ses déclarations xénophobes et antisémites qu'il veut teintées d'humour scandalisent la majorité des Français.
    Entre les chambres à gaz "point de détail" ou les jeux de mots injurieux à l'encontre d'un ministre, ça ne passe pas : Michel Durafour, alors ministre de la Fonction publique, avait reconnu la montée du FN dans le paysage politique français ce dont le Pen le remercia en ces termes "M. Durafour-crématoire, merci de cet aveu". Tollé général en France et à l'étranger mais aussi au sein du FN où certains membres rendent leur carte.

    JM le Pen

     2002 : le coup de semonce

    Il y a 20 ans les électeurs se rendent aux urnes pour une présidentielle où ça se bouscule au portillon de l'Élysée. Dix-huit candidats sont dans les starting blocks.

    Cohabitation 2Pour les chroniqueurs le match se joue entre le président sortant, Jacques Chirac et son premier ministre de cohabitation, le socialiste Lionnel Jospin.
    Le bilant économique de cette cohabitation est plutôt positif si on se place du côté libéral mais face au virage social-démocrate de Jospin qui favorise l'économie de marché au détriment du social. Conséquences directes, les classes populaires ne se reconnaissent plus dans ce socialisme de "centre gauche" et la gauche part en ordre dispersé.

    Curieusement tout le monde semble oublier le Front National et ses scores en hausse aux européennes et aitres scrutins intermédiaires. 
    Pour tous les experts et les instituts de sondages, le match est plié et se jouera, c'est sûr, entre les deux têtes de l'exécutif. 
    Pour les media, Jean-Marie le Pen est presque "l'idiot utile" de la mondialisation "heureuse", l'épouvantail anti socialisme et en tant que tel, c'est avec une condescendance amusée qu'il sera traité par les journalistes. Grossière erreur ! 

    Quand les résultats du premier tour tombent, la France républicaine est frappée d'une stupeur douloureuse : le duel se jouera entre Chirac (19,67 %) et Le Pen (17,02 %).
    La dispersion des voix de gauche (Taubira, Chevènement etc.). contribue à l'élimination de Jospin.

    Constitution du Front Républicain

    Le réveil est brutal, à droite comme à gauche et même chez les abstentionnistes du premier tour : le ver brun est dans le fruit républicain ! 
    Ce qui un mois auparavant relevait dans l'imaginaire collectif de la pure fiction politique est en train de prendre corps : ce que beaucoup voyait comme un épiphénomène politique est désormais une réalité et une menace pour la démocratie.
    Le Front National et sa nébuleuse de groupuscules néo nazis, fascistes et ultra nationalistes ne font plus peur. Pire, pour certains qui pressentent les dangers de l'ultra mondialisation, la voix de Jean-Marie le Pen est la seule qui rend leurs craintes audibles.

    Mais en 2002, la France n'est pas encore prête, même pour un despotisme mou et de gauche à droite, des extrêmes au centre, les électeurs se mobilisent en masse pour, de manifestations en élection, affirmer leur rejet de l'extrême droite.
    Jacques Chirac sera réélu avec un score de 82 % des voix. 
    Le Front Républicain a tenu.

    Rassemblement pour une victoire

    L'histoire des partis politiques est émaillée de crises, de rebondissements et de turpitudes peu ragoûtantes à nos yeux de citoyens et le Front National n'y échappe pas.

    Érosion de l'électorat, dissidences, difficultés financières (déjà !), défiance à l'encontre du chef... la première décennie du 21ème siècle n'est pas de tout repos pour le Front National. 
    "Le Menhir" (surnom de Jean-Marie le Pen) vacille même si son parti tient bon dans les régions. Avant le congrès du parti les 15 et 16 janvier 2011, le patriarche annonce qu'il ne sera pas candidat à sa propre succession. Le Congrès devra trancher entre deux candidats : Marine le Pen et Bruno Gollnisch. 

    Tuer l'image du père

    Depuis son adhésion au FN en 1986 (à 18 ans) Marine le Pen, après des débuts en dilettante, comprend une chose fondamentale pour le Front Nationale : il faut "arrondir" non pas les idées de fond (bien qu'elle n'adhère pas à certaines) mais le discours paternel dont la violence fait peur à des électeurs potentiels. Pour les attirer, elle met tout en œuvre pour présenter un visage du FN  plus rassurant.

    Marine le Pen

    Elle s'y emploie dès le début avec, par exemple, son implication dans la cellule "idées-images" lors de la campagne de son père en 2002 ou encore un déplacement à New-York en 2003, visant à envoyer des messages rassurants à la communauté juive.
    Mais c'est réellement le 5 mai 2002, alors qu'un des cadres du FN se désiste sur un plateau TV que Marine le Pen prend la lumière en le remplaçant à la demande de son père. Sa prestation est remarquée tant par les media français qu'européens.

    De la dédiabolisation à la normalisation

    On ne peut lui reprocher un manque d'opiniâtreté et, bien que son père soutienne Bruno Gollnish et le tienne pour son successeur, Marine le Pen est élue présidente du FN au grand dam des caciques du FN et de la presse d'extrême droite. 
    Mais d'autres feront le job pour elle.

    Grand ravalement de façade

    Son arrivée à la tête du FN est salué par un accroissement des adhésions ainsi que par des succès à des élections locales.

    Elle écarte les ultras trop ostensiblement fascistes et négationnistes saluant le bras tendu. Fini les propos antisémites ou racistes : le FN ne lutte plus contre les races mais contre les migrants qui viennent bouffer le pain des Français.
    La main sur le cœur elle le jure : elle est anti système. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle refuse le chèque de 5 144 536,32 €/an sur la mandature précédente et les futurs 10 M/an sur la période 2023-2027. Les affaires des attachés parlementaires et le détournement de l'argent public français et européens ? Un complot visant à tuer le FN.

    Le népotisme du parti ? Oublié. Les ciments Laffarge et le domaine de Montretoud ? Oubliés. Marine le Pen, c'est désormais la voix du peuple laborieux qui n'arrive plus à boucler les fins de mois.

    Le changement d'identité du parti est révélateur de l'orientation nouvelle du discours : fini le Front National et son image clivante. Le parti reprend le nom du groupe parlementaire de 1986, plus fédérateue : le Rassemblement National.

    Une complaisance médiatique coupable

    Si les media n'ont jamais épargné le Pen père, il n'en est pas de même avec la fille. 

    Malgré les récriminations quasi permanentes quant aux mauvaises manières que lui feraient les media, ceux-ci lui offrent une tribune où elle déroule son opération séduction. 

    Unes de presse, interventions sur tous les plateaux TV, c'est le grand show ! 
    Marine à la plage, Marine au marché, Marine aux champs, Marine à l'usine, plus récemment Marine et ses chats (ah ! les beaux clichés de Paris Match qui titre "Bêtes de pouvoir" en 2018 !)

    Cliché Richard Durand pour Paris Match

     

    Et malheur à ceux qui osent encore faire un travail de journalisme car la cheffe du RN n'hésite pas à décréter qui est journaliste et qui ne l'est pas, en tout "respect" de la liberté d'expression.

    Alors, les media ont-ils faits Marine le Pen ? Oui !

    Et ce n'est pas moi qui le dit, c'est Jean-Marie le Pen lui-même en 2004 :

    Marine, ce sont les médias qui l'ont faite. Elle est comme un cheval de course. Les amateurs et les professionnels du turf ont jugé qu'elle avait des qualités et ce sont eux qui l'ont promue

    Les "malgré nous", alliés involontaires

    Si la subjectivité des media, plus soucieux de l'audimat et des parts de marché, sans parler du fait que détenus par des patrons du CAC40, ceux-ci ne veulent pas compromettre d'éventuels marchés, peut trouver une justification mercantile, on peut s'interroger sur la responsabilité des politiques... et la réponse est nauséabonde.

    Une droite qui tapine...

    Si la porosité entre une fraction dure de l'ex RPR, ex UMP et aujourd'hui LR fait partie des anales politiques, (pardon ? annales, autant pour moi ! mais l'odeur est la même, d'où cette petite confusion), elles sont au moins assumées et cohérentes avec les opinions des transfuges qui ont rejoint les gars de la Marine.
    La phrase "le bruit et l'odeur" de Chirac avait soulevé l'indignation publique en 1991, et reflétait un racisme latent au sein de la droite républicaine et de ses sympathisants mais de là à franchir le Rubicon, il n'en était pas question.

    Le premier à enfoncer le coin de la normalité dans la réputation du FN est le président Sarkozy qui au sortir d'un meeting électoral pour la présidentielle 2012 lâche aux journalistes interloqués que "le FN est un parti comme les autres".
    Celui qui voulait siphonner, sans succès, les voix du FN, se montrera encore plus clair en 2015 lors d'un discours de soutien à la candidate LR-UDI-Modem Virginie Calmels durant lequel il fera voler en éclat le Front Républicain en soutenant le ni-ni :

    Le vote FN n'est pas immoral [...] Le vote FN n'est pas un vote contre la République [...] La France n'en peut plus de colère, d'exaspération, d'angoisse. [...] Le peuple de France se demande si la France de toujours restera la France

    Le discours de cette droite se radicalise au point que pour les électeurs il devient illisible. Pire, Marine le Pen a désormais beau jeu de dénoncer les outrances d'une Nadine Morano qui, en 2015 dans l'émission "On n'est pas couchés" sur France2, défend le concept d'une France "judéo-chrétienne... de race blanche". Marine le Pen rejette la main tendue de Morano pour d'éventuels accords.
    Photo Antoine Gyori - CorbisTandis que les Vauquiez, Ciotti et consort exploitent la version Jean-Marie du logiciel, Marine est en plein upgrade.
    Qu'importe ce  que pense réellement Marine le Pen de la crise des Gilets Jaunes, le mouvement lui offre un spot sur lequel elle va surfer : le pouvoir d'achat, la mondialisation, ces sujets qui parlent au peuple. 
    Involontairement, Valérie Pécresse, son pitoyable copier/coller zemmourien et un programme "social" a minima confortent l'image de "normalité" du RN ainsi que sa nouvelle image sociale, LR s'affranchissant de toute responsabilité dans la situation sociale du pays. La campagne des LR pour les législatives, atone, n'a qu'une cible : la Nupes.

    ... une gauche qui fait peur

    En avril 2021 je faisais un rêve un peu fou, celui d'une gauche unie, au moins sur l'essentiel, pour contrer à la fois Macron et le RN. Utopie !

    Mélanchon 2016Un PS fantomatique, EELV uni dans la division et LFI seule force de gauche encore audible préfèrent aller en ordre dispersé à la présidentielle,  créditant ainsi les sondages qui annoncent le duel Macron-le Pen.
    "L'alliance" bricolée à la hâte pour les législatives, torpillée par ceux qui choisissent le statu quo, échoue lamentablement faute d'avoir fédéré l'électorat de gauche.

    Si certains dirigeants ont une part de responsabilité, à mes yeux la responsabilité en incombe essentiellement à un homme : Jean-Luc Mélanchon.

    La personnalité du bonhomme effraie plus encore que son programme. Oubliant l'impact négatif de son fameux "La République, c'est moi !", il n'a pas voulu comprendre que les Français, lassés de l'hystérisation politique, ont rejeté l'idée d'un "lider maximo" premier ministre. Il a échoué là où Marine le Pen a réussi.
    Et ce n'est pas sa demande, farfelue, de l'élire "premier ministre" qui rassurera les forces de gauche qui ne veulent pas remplacer une verticalité de pouvoir par une autre.

    Et les autres...

    mai 2022 Si les scrutins passés ont montré que le RN avait peu, voire rien, à craindre de Philippot ou Dupont-Aignan, il en fut tout autrement d'un nouveau venu dans l'arène politique, Eric Zemmour.
    Le polémiste favori de Cnews (groupe Canal-Bolloté) et Paris Première (groupe M6) a confondu auditeurs et électeurs et n'a pas mesuré que ce qui fait de l'audimat ne fait pas forcément programme. 
    De même les images désastreuses de certains incidents de meetings et sa mauvaise foi évidente qui en a suivi ont commencé à inquiéter son électorat potentiel.
    Péché d'orgueil ? Absence de sens politique ? Les deux ? Toujours est-il que son discours a finalement repoussé une partie de ses partisans vers Marine le Pen, plus fréquentable et présentant un programme abouti.
    Pour les candidats de Reconquête, les législatives ont été une débâcle qui ont servi le RN.

    Je gardais le meilleur pour la fin car à mes yeux, même si une montée en puissance du nombre d'élus RN était inéluctable, rien ne laissait présager une telle progression, soit 86 élus de plus.
    Et après analyse, certes personnelle, le plus grand artisan de ce triomphe est l'actuel président, Emmanuel Macron à qui j'ai consacré un article à part quant à sa responsabilité.

    Mais, pire encore.
    Le grand responsable est l'abstentionnisme
    On peut le justifier par tous les arguments, de l'écœurement que provoquent les hommes politiques au week-end à la campagne, il gagne du terrain d'élection en élection. 
    Et un droit qui ne s'exerce par est un droit voué à disparaître...

    Par delà les divergences idéologiques, de cette guerre d'egos nul n'est sorti vainqueur. Sinon le RN.
    Et peut-être pas la France de demain.

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