La fin des années 60 marque un bouleversement artistique qui inspire encore la Culture actuelle. Musique, arts plastiques, écriture, cinéma nouvelle vague, tous les domaines sont pris d'une fièvre créative et futuriste, y compris la mode.

A cette époque, les femmes se libèrent d'une sophistication imposée par l'image de la femme élégante et irréprochable. Fini les bas, le collant arrive en force, le soutien-gorge vole par dessus les moulins, le pantalon n'est plus une exception et les jupes raccourcissent. 
Les matières synthétiques envahissent les armoires et le prêt-à-porter explose.

De nouveaux noms émergent dans la haute couture qui vont bousculer tous les codes établis en imposant une vision futuriste de la femme : Pierre Cardin, André Courrèges et Paco Rabanne.

Un esprit créatif

Francisco Rabaneda y Cuervo est né le 18 février 1934 au Pays Basque espagnol.
Son père, colonel du roi Alphonse XIII est exécuté par les franquiste. Tandis que les exécutions se multiplient, sa mère fuit avec ses quatre enfants en 1939. La famille traversera les Pyrénées à pieds pour trouver refuge en Bretagne près de Morlaix.

Sa personnalité se forge entre une mère socialiste engagée qui baigne dans la couture puisqu'elle première main pour Cristobal Balenciaga, et une grand' mère fervente catholique mais versée dans le chamanisme.
Sa créativité foisonnante s'exprime déjà à travers les dessins qu'il exécute.

Des études "béton"

En 1952 il rejoint Paris pour apprendre l'architecture à l'École des Beaux-Arts pendant dix ans. Parmi ses professeurs, il compte Auguste Perret, grand spécialiste du béton armé.
Pour payer ses études, il crée des accessoires de mode qu'il vend à de grandes marques telles que Balanciaga, Givenchy ou Schiaparelli.

Constatant le succès que rencontrent ses accessoires, il bifurque de l'architecture vers la mode mais avec une vision qui pose les bases du style Paco Rabanne. Dans son best-seller "Trajectoire d'une vie à l'autre" paru en 1991, il raconte.

Rapidement, je constatai que les couturiers parisiens se complaisaient dans une attitude beaucoup trop passéiste à mon goût. (…) Le monde était en pleine mutation et la mode s’enlisait dans un immobilisme consternant. (…) C’est ainsi que germa dans mon esprit le projet de présenter ma propre collection de haute couture, dans l’esprit des dadaïstes, c’est-à-dire dans un geste de provocation et de révolte, dans l’espoir de secouer un peu cette inertie et de promouvoir, peut-être, une plus grande modernité

A priori il y a peu de rapport entre le métier d'architecte et celui de créateur de mode mais Paco Rabanne a retiré de ces études le sens de la rigueur qui servira son art.

Créateur visionnaire et "perché"

Avec Paco Rabanne, fini les cousettes qui tirent l'aiguille dans les ateliers. La trousse à outils remplace la trousse de couture.

Matières improbables pour vêtements "importables"

Fortement influencé par ses études d'architecture, Paco Rabanne pense ses modèles comme des "enveloppes habitables" que les femmes doivent investir et personnaliser.
Autodidacte de la mode, Paco Rabanne va jusqu'au bout de son concept en utilisant des matériaux industriels : papier, plaques de Rhodoïd™, sequins, métal ou encore cuir riveté, béton cellulaire et même ordures ménagères, remplacent soie et satin.
Parmi ses détracteurs, Coco Chanel raille ce "métallurgiste de la mode", surnom qui restera à la postérité, mais ces critiques n'émeuvent pas Paco Rabanne.

On peut s'habiller dans toutes les matières, aussi invraisemblables soient-elles. Lorsque nous serons 20 milliards d'individus sur la Terre, il n'y aura plus de laine, plus de coton, il n'y aura plus rien ! Il ne restera plus que les choses de la minière et nos ordures à recycler pour pouvoir faire des vêtements.

Féministe et "wokiste" avant l'heure

Quand il crée ses premiers modèles en 1964, c'est une révolution. 
Non seulement ses modèles géométriques; qui font plus penser à des armures qu'à des robes du soir, surprennent par leur futurisme mais aussi parce qu'ils préservent la féminité de ses modèles, répondant à la vision que Paco Rabanne a de la femme.

La femme de demain sera efficace, séduisante et sans conteste supérieure à l'homme. C'est pour cette femme que je conçois mes créations.

Cette année là Paco Rabanne brise un tabou : il est le premier créateur de mode, avant Yves Saint Laurent, à faire défiler un mannequin noir habillé d'une robe de mariée en plastic blanc.
Empêtrés dans leurs problèmes de ségrégation raciale, les Américains lui feront payer ce choix en l'excluant de la presse de mode. Ça n'émouvra pas ce passionnée de culture afro-caraïbéenne.
Il sera aussi le premier couturier à faire défiler ses mannequins pieds nus et dansant.

La consécration arrive le 1er février 1966 à l'hôtel Georges V, avec son défilé estampillé "Haute Couture", intitulé "Douze robes importables en matériaux contemporains". A l'époque, les professionnels de la mode le prennent pour un doux dingue. C'est auprès des stars du cinéma et de la musique qu'il rencontre son premier succès. Brigitte Bardot, Anouk Aimée, Jane Fonda (pour qui il signe aussi les costumes pour le film Barbarella) ainsi que Françoise Hardy qui fut sa muse.
Pour elle il a créé la robe considérée comme la plus chère du monde, 38 kilos de plaques d'or incrustées de diamants. Entourée de 4 vigiles armés, Françoise Hardy la présente lors de de l'Inauguration de l'Exposition Internationale de Diamants, le 15 mai 1968.

Le parfum haute-couture à portée de tous

 En 1969 Paco Rabanne se lance dans une nouvelle aventure : le parfum.

Dans ce domaine aussi il inscrit sa vision futuriste et industrialisée du monde.
S'associant à la société Puig, il élabore un premier parfum où se percutent l'évocation de l'odeur de voiture chaude et fragrances florales.
Ce parfum improbable, c'est Calandre. Il sort en 1969 et c'est un succès commercial.

En 1973 il lance Paco Rabanne pour homme, jus qui reste encore aujourd'hui iconique dans les parfums pour hommes.
Ses autres créations (XS, Metal, Paco, Black XS, Million, Invictus, Lady Million...) rencontrent le même succès et sa gamme se classe régulièrement dans les meilleures ventes mondiales. 
Paco Rabanne a su tout à la fois rendre le parfum accessible à tous, olfactivement mais aussi financièrement. Il est le premier à avoir démocratisé le parfum haute-couture.

Paco Rabanne quitte la haute-couture

La fin du XX^ème siècle est un tournant pour celui qui a fait entrer la haute-couture dans le XXI^ème.

Prophéties et élucubrations

A la fin des 90s le public découvre Paco Rabanne l'homme derrière le créateur visionnaire et le moins que l'on puisse est qu'il surprend.
Est-ce l'influence de sa grand'mère ? Toujours est-il que sur les plateaux ses déclarations au mieux sont prises avec un certain amusement, au pire effrite son crédit.  
De ses différentes vies, en passant par sa rencontre avec Dieu ou avec des extra-terrestres, l'opinion publique s'interroge.
Sa prophétie de l'écrasement de la station MIR sur Paris en 1999 est le point d'orgue de ses déclarations. Devant le scepticisme ironique des media, il prend le pari de ne plus jamais s'adresser à quelque medium que ce soit si cette prédiction n'était pas avérée. Il tiendra parole.

Paco Rabanne se tourne vers le prêt-à-porter

En 1999 Paco Rabanne quitte son poste de directeur artistique de la maison Paco Rabanne (achetée par la société Puig) pour se consacrer à la peinture et au design mais aussi pour s'orienter vers le prêt-à-porter, toujours avec sa vision si particulière.
La maison Paco Rabanne arrête la haute-couture et développe son activité prêt-à-porter avec de nouveaux stylistes, jusqu'à ce la maison Paco Rabanne ferme.

Il faudra attendre 2013 pour que la marque Paco Rabanne renaisse.
Son nouveau directeur artistique est un jeune styliste du Morbihan qui a travaillé auparavant chez Balanciaga, Julien Dossena.
Tout en préservant l'esprit novateur de Paco Rabanne, il développe une ligne plus fluide et plus accessible.

L'héritage du maître

Décrié à ses débuts, puis encensé pour sa vision futuriste, Paco Rabanne a marqué l'imaginaire en faisant entrer la mode dans le futur en cassant les codes d'une haute-couture qui s'essoufflait.
De sa vision déjà écologiste d'un monde où le déchet industriel submergerait la nature, il a fait naître des œuvres d'art inoubliables qui inspirent les créateurs du XXIème siècle.

Il s'est éteint ce 3 février près de Brest, peut-être en route vers une nouvelle vie.
Mais le monde de la mode n'oubliera pas son conseil.

Nous vous passons le relais. Soyez audacieux comme nous l'avons tous été à notre époque avec Pierre Cardin, Saint Laurent ou Courrèges ! Osez encore et toujours ! Étonnez-nous ! Défrichez sans cesse ! Pour percer et s'imposer, on n'a pas le droit de copier.