• Réforme "totem" et hache de guerre

    Macron a beau le dire et le répéter tel un mantra, à moins que ça ne relève de la méthode Coué, il semblerait que non, les Français ne l'ont pas élu sur la base de son programme, encore moins sur la perspective riante de sa réforme des retraites. Pour beaucoup ce fut un choix par défaut pour faire encore un peu barrage à l'extrême-droite.
    N'ayant plus rien à perdre puisqu'il ne pourra pas briguer un troisième mandat, fini le temps des reculades sous prétexte de concertations : sa réforme totem passera. En force si il le faut par le biais d'un 49.3 ou d'un 47.1 et d'ordonnances.

    Macron, rassembleur malgré lui

    Le 11 janvier le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, affirmait avec un sourire en coin que le gouvernement "

    [n'avait] pas le sentiment d'une focalisation de l'opinion. [...] on entend assez peu parler de retraites.

     C'est bien là que le bâts blesse : non seulement le gouvernement "entend assez peu" mais il n'écoute pas du tout !

    Sourd et aveugle, le gouvernement dans le mur syndical

    Macron et ses gouvernements successifs ont cultivé le mépris des corps intermédiaires, empêcheurs de réformer en paix. 
    La vision politique infantile du chef de l'État a relégué ces corps intermédiaires au rôle de fossiles de "l'ancien monde" que l'on ressort de la tourbe par nécessité, histoire de donner l'illusion de la concertation à un pouvoir vertical.
    Par cette attitude, le gouvernement a réussi un premier exploit ; fâcher la CFDT qui, depuis  1995, se montrait plutôt conciliant avec le gouvernement en place. 

    Le deuxième exploit, et pas des moindres, le gouvernement a reconstitué un front syndical bien effrité depuis 1995.
    Malgré leurs divergences, les centrales syndicales ont démontré que le dialogue est possible et constructif. L'illustration en est une relation de confiance entre Laurent Berger (CFDT) et Philippe Martinez (CGT), une relation inenvisageable il y a un an encore.

    Photo Sipa/Eric DESSONS

     Pour le gouvernement qui se pensait assuré du soutien même a minima de Laurent Berger, c'est une surprise. Désagréable.

    Guerre de l'opinion : gouvernement 0 - rue 1

    Outre un timing désastreux, la communication gouvernementale est un modèle de communication ratée.
    Dès le début de son premier quinquennat, la Macronie a développé un champ lexical révélateur de son mépris du peuple. "Ceux qui ne sont rien", "illettrées" des abattoirs ou encore "gaulois réfractaires" ne reprochent pas au président et sa majorité "le fait d'avoir probablement été trop intelligents, trop subtils1", ou même de ne pas avoir insuffisamment expliqué leurs mesures.
    La formule extrêmement maladroite de Gilles Legendre1 n'en posait pas moins le bon diagnostic. 

    Je pense que nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. Nous nous donnons beaucoup de mal mais il faut le faire mieux, plus, en étant plus proche de ce que les Français attendent.

    Le gouvernement aurait été bien inspiré de se rappeler ce conseil de Gilles Legendre mais il a lamentablement échoué en alignant des arguments qui ne convainquent plus personne même au sein de sa propre majorité. Les Français ont parfaitement compris que cette réforme vise essentiellement à amortir le coût du "quoi qu'il en coûte" et les sparadraps de "justice" ne parviennent pas à réduire la fracture entre le pouvoir et le peuple.

    Les deux mobilisations ont sévèrement entamé la confiance du gouvernement qui ne s'attendait pas à un tel record de participation, jusque dans les petites villes de province. Au delà des chiffres, c'est ce qui inquiète la macronie qui voit ressurgir le spectre des Gilets Jaunes. La différence, de taille, est que la nature de la contestation rend sa diabolisation difficile.
    Darmanin s'y est bien essayé dans une interview au Parisien en fustigeant "la gauche bobo paresse [...] qui veut bordéliser le pays", Ceux qui ont défilé en janvier sont les travailleurs de "première ligne" que son patron encensait tant il y a deux ans et qui, à travers ces propos, voient la confirmation d'un mépris de classes exprimé sans complexes par les macronistes.

    Casse-têtes arithmétiques

    Les chiffres sont parfois cruels qui montrent au gouvernement qu'il doit faire face à une vague de fond et que la résolution de l'équation n'ira pas de soit.

    Alors que les sondages montrent un affaissement de la popularité de l'exécutif, déjà pas très flambarde, il montre à l'inverse que l'opinion est majoritairement opposée à cette réforme en l'état avec des chiffres entre 61 et 73 % selon les instituts.

    L'autre casse-tête arithmétique se pose au sein même de l'Assemblée.
    Conscient qu'un nouveau 49.3 ou qu'un 47.1 ne feraient que renforcer son image d'antiparlementariste, le gouvernement doit rallier le groupe républicain afin d'obtenir la majorité. 
    La séquence de câlinothérapie lancée par la première ministre (carrières longues, index sénior) semblait porter ses fruits, en tout cas auprès du patron LR, Éric Ciotti. Patatras ! Un tweet d'Aurélien Pradié montre que l'unanimité n'est pas acquise.

    La mobilisation continue

    Depuis hier après-midi l'Assemblée Nationale discute le texte dans un climat éruptif. Le spectacle était assez navrant, la représentation nationale étant loin de la dignité des défilés du 31 janvier. Invectives, gesticulations et coups bas2 indignes, on était loin de la tenue des deux défilés de janvier.
    Mais d'un bout à l'autre de l'hémicycle, les députés auront les yeux rivés sur la mobilisation d'aujourd'hui et plus encore sur celle de samedi.

    Union syndicale : la force tranquille

    Pour le gouvernement tout comme pour les media, l'étalon de la mobilisation est le grand mouvement de 1995. 
    Le 31 janvier le gouvernement a bien tenté de trouver un peu de réconfort en regardant le taux de grévistes dans la fonction publique avant que les chiffres de la mobilisation dans les cortèges ne les ramènent à la dure réalité d'un mécontentement généralisé.

    Relayés par les media complaisants, le gouvernement brandissait la menace d'usagers "pris en otages" par les cheminots à la veille des vacances, espérant ainsi décrédibiliser le mouvement auprès de l'opinion publique tout et torpiller l'unité syndicale.
    La tactique aura fait long feu devant un front syndical responsable.
    Contrairement à 1995 où le pays était à l'arrêt, les centrales syndicales et les branches cheminots (les plus dures) se sont accordées pour ne pas bloquer les transports et ne pas appeler à la grève samedi.

    Il est plus que probable que la mobilisation des 200 cortèges qui défileront cet après-midi soit inférieure à celle du 31 janvier, ce dont se réjouira probablement l'exécutif pour qui les bonnes nouvelles sont rares.
    Ce serait oublier ce qui s'est passé en 1995.
    Alors que les cortèges (généralement le mardi) rassemblaient plus de salariés de la fonction publique et de retraités, le samedi 16 décembre a mobilisé près d'un million de manifestants sur la seule ville de Paris, malgré les derniers achats de Noël.
    C'est dire si les manifestations de samedi seront plus représentatives encore que les précédents.

    Même si "la rue ne gouverne pas" (Raffarin), elle a montré par le passé qu'elle entendait être écoutée. 
    Et qu'elle est prêté à gueuler plus fort.


     1 : Gilles Legendre, ex président du groupe LREM à l'Assemblée Nationale - "Territoires d'infos" sur Public Sénat le 17/12/2018.
    2 : peu avant le vote de la motion référendaire proposée par le RN, des députées RN et Renaissance ont reçus des appels anonymes les informant qu'un de leur proche avait été admis en urgence à l'hôpital. Cette manœuvre visant à les écarter du vote a été dénoncée par Marine le Pen qui a porté plainte.

    « Paco Rabanne vers une nouvelle vie ?D'Oradour sur Glane à Bucha : l'indignité humaine »

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